ARMEE-JAPON

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BOMBARDEMENT ATOMIQUE

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Le Japon avec les deux villes détruites en 1945

Bombardements Atomiques d'Hiroshima et Nagasaki

Les bombardements Atomiques d'Hiroshima et Nagasaki ont eu lieu les 6 et 9 août 1945 à l'initiative des États-Unis après que les dirigeants japonais eurent décidé d'ignorer l'ultimatum de Potsdam. La cessation des hostilités fut effective 6 jours après. La Seconde Guerre mondiale se conclut officiellement moins d'un mois plus tard par la signature de l'acte de capitulation du Japon le 2 septembre 1945. Ce sont les seuls bombardements nucléaires ayant eu lieu en temps de guerre.

Le nombre de décès est difficile à définir et seules des estimations sont disponibles. Le Département de l'Énergie des États-Unis (DOE) avance les chiffres de 70 000 personnes pour Hiroshima et de 40 000 personnes pour Nagasaki, tuées par l'explosion, la chaleur, et l'incendie consécutif. À ceci, s'ajoutent les décès apparus par la suite en raison de divers types de cancers (334 cancers et 231 leucémies observés) et de pathologies. Pour sa part, le musée du mémorial pour la paix d'Hiroshima avance le chiffre de 140 000 morts, pour la seule ville d'Hiroshima.

Les justifications des bombardements ont été le sujet de nombreux débats et controverses. Pour les opposants, ces bombardements, qui ont surtout tué des civils, ont été inutiles et sont des crimes de guerre, alors que pour les partisans de la décision, ils ont raccourci la guerre de plusieurs mois en provoquant la reddition du Japon et ont donc sauvé la vie de centaines de milliers de soldats américains, ainsi que de civils et de prisonniers sur le territoire de la Sphère de coprospérité de la grande Asie orientale.

Les survivants des explosions, les hibakusha, sont devenus le symbole d'une lutte contre la guerre et les armes atomiques à travers le monde. Mais au Japon ils n'étaient pas reconnus comme survivants et ont été laissés à leur sort, car les explosions d'Hiroshima et de Nagasaki ont longtemps été un sujet tabou.

Un projet de longue haleine

Le projet de nom de code projet Manhattan a été initié en 1942, trois ans avant la fin de guerre, mais moins de 7 mois après l'entrée en guerre des États-Unis. Les bombes à l'uranium et au plutonium, développées en parallèle et en secret par les États-Unis (avec l'assistance du Royaume-Uni et du Canada, ainsi que de nombreux savants européens) étaient les deuxième et troisième engins à devoir être utilisés et sont restés les seuls déployés depuis cette date sur un théâtre d'opérations.

Trinity

Le premier essai d'une bombe atomique, Trinity (surnommée le gadget en partie du fait que ce n'était pas une arme opérationnelle), eut lieu dans un désert du Nouveau-Mexique le 16 juillet 1945, sur la base aérienne d'Alamogordo. C'était un modèle au plutonium, car les Américains avaient plus de doutes sur cette technologie que sur celle à l'uranium.

La décision

La décision de lancer les bombes sur le Japon fut prise par le président américain Harry S Truman pour plusieurs raisons que les historiens se sont efforcés d'analyser, pondérer ou écarter : satisfaire l'opinion publique en vengeant les soldats tués sur le front du Pacifique, réduire la durée de la guerre et éviter un débarquement sur l'archipel, mettre en place une stratégie pour contrer l'Union Soviétique et avoir une force de frappe dissuasive ou encore justifier un programme dont le coût avait été exorbitant. Comme il est détaillé dans la discussion à la fin de cet article, le fait que les bombardements atomiques aient été ou non justifiés reste depuis lors un sujet de controverse.

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Champignon atomique produit par l’explosion sur Hiroshima, le 6 août 1945

La réunion du Comité des objectifs à Los Alamos les 10 et 11 mai 1945, choisit les cibles sur le territoire japonais dans cet ordre :

Kyōto ; Hiroshima ; Yokohama ; L’arsenal de Kokura ; Niigata ; Le palais impérial à Tōkyō (incertain).

Selon Robert Jungk (traduction libre) :

Sur la courte liste des cibles pour la bombe atomique, en plus de Hiroshima, Kokura et Niigata, il y avait aussi la ville des temples, Kyōto. Quand l'expert sur le Japon, le professeur Edwin O. Reischauer, entendit cette terrible nouvelle, il se rendit précipitamment dans le bureau de son chef, le major Alfred MacCormack, dans un département des services de renseignement de l'armée. Le choc le fit fondre en larmes. MacCormack, un avocat cultivé avec le respect de la vie humaine, arriva à persuader le secrétaire de la guerre Henry L. Stimson d'accorder un sursis à Kyōto et de retirer la ville de la liste.

J'aurais probablement fait ça si j'en avais eu l'occasion, mais ce récit ne contient pas une once de vérité. Comme il a déjà été amplement prouvé par mon ami Otis Cary de Doshisha à Kyōto, la seule personne qui mérite les honneurs pour avoir sauvé Kyōto de la destruction est Henry L. Stimson, le secrétaire de la Guerre de l'époque, qui avait connu et admiré Kyōto depuis sa lune de miel plus de trois décennies auparavant.

Cette affirmation est partiellement confirmée par Richard Rhodes qui décrit le refus de Stimson au sujet du bombardement de Kyōto, allant contre la volonté du général Leslie Groves.

Le 31 mai 1945, Stimson réunit les principaux acteurs militaires et scientifiques du projet Manhattan. Ils discutèrent des inconvénients liés à un avertissement donné aux Japonais avant l'attaque. Ils craignaient que les Japonais ne déplaçassent des prisonniers de guerre en direction des zones prévues pour le bombardement ou que les appareils soient abattus. Il se pouvait aussi que la bombe soit un fiasco avec une explosion incomplète. Edward Teller proposa de faire exploser la bombe de nuit, sans avertissements, au-dessus de la baie de Tōkyō pour éviter les pertes humaines et choquer l'opinion. Cette idée fut rejetée : les Japonais avaient déjà prouvé leur combativité sans limite avec les kamikazes (avions suicides) et il n'était pas sûr qu'une action sans destruction massive soit suffisante pour les déstabiliser.

Oppenheimer suggéra d'attaquer avec plusieurs bombes le même jour pour définitivement stopper la guerre. Le général Groves s'y opposa car les cibles avaient déjà fait l'objet de bombardements conventionnels et que les effets des bombes ne seraient pas assez significatifs sur ces terrains déjà dévastés. De plus, les estimations à cette date sur la puissance d'une explosion nucléaire (aucun test n'ayant été effectué) ne correspondaient au mieux qu'à la moitié, au pire à un dixième de ce qui allait être réellement le cas. Les effets n'étaient pas encore précisément connus. Ce n'est qu'après le test de Trinity que la nature de la mission put être scellée.

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Vue d’Hiroshima, peu après le bombardement

La réaction du Japon à l'ultimatum de Potsdam

Les délibérations entre Hirohito, le cabinet et l'état-major, démontrent que l'Empire du Japon n'était pas sur le point de se rendre sans condition. Les archives japonaises et le journal du garde des sceaux Kôichi Kido indiquent que l'empereur et le cabinet insistèrent pour obtenir une reddition conditionnelle, alors que le gouvernement menait des négociations parallèles avec l'Union soviétique. Parmi ces conditions se trouvaient le désarmement des troupes par les autorités japonaises, le jugement des criminels par les autorités japonaises, l'absence de forces d'occupation en sol japonais et la préservation du régime impérial et de l'Empereur.

En réponse à la déclaration de Potsdam du 26 juillet, le gouvernement japonais organisa le 28 une conférence de presse au cours de laquelle le premier ministre Kantarō Suzuki annonça l'intention du Japon d'ignorer (mokusatsu) l'ultimatum. Une ambiguïté subsiste cependant quant à l'attitude de Suzuki : favorable à la capitulation, il devait cependant composer avec la faction belliciste de l'armée, et avait peut-être souhaité, par cette expression, exprimer un simple refus d'aborder la question en public, ou signifier que l'ultimatum n'apportait rien de nouveau. Le terme fut cependant compris par les Etats-Unis comme un refus catégorique de toute reddition.

Entre le 27 juillet et le 6 août, alors que Hirohito faisait l'objet d'intenses pressions de ses frères et de ses oncles lui demandant d'abdiquer en faveur de son fils, le gouvernement se réfugia dans le mutisme. Dans l'attente d'une issue aux négociations menées avec les Soviétiques, l'empereur ordonna le 31 juillet au garde des sceaux Kôichi Kido de prendre les mesures pour défendre à tout prix les insignes impériaux.

Le 2 août, Shigenori Tōgō, le ministre des Affaires étrangères, transmit à l'ambassadeur nippon à Moscou, Naotake Satō, un message lui indiquant que l'empereur, le premier ministre et le Quartier général impérial plaçaient tous leurs espoirs dans l'acceptation, par l'Union soviétique, d'une mission de paix menée par le prince Fumimaro Konoe. L'ambassadeur répliqua en recommandant au gouvernement d'accepter les termes de l'ultimatum de Potsdam.

Pressé par l'empereur, désireux de protéger ses prérogatives, Tōgō refusa toute négociation directe avec les autres alliés même lorsque Kaina, le président du bureau d'espionnage lui déclara le 4 août : Ce n'est pas assez de négocier seulement avec l'Union soviétique. Il n'y a pas d'espoir si nous continuons comme ça. De quelque façon, en coulisse, nous devons négocier avec les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Chine.

L’ordre d’attaquer

Seules quelques personnes sont au courant des ordres donnés par le président Truman. Le 21 juillet 1945, le président approuve le largage des bombes sur le Japon. Le 24 juillet, l'ordre est relayé par le secrétaire de la Guerre, Henri Stimson. Le 25 juillet, le général Thomas Handy envoie un ordre secret au général Carl A. Spaatz, ce sera le seul ordre écrit concernant l'utilisation de la bombe atomique. Le 28 juillet, le Japon refuse l'accord de Potsdam et l'utilisation de la bombe paraît alors inéluctable aux militaires américains.

Hiroshima durant la Seconde Guerre mondiale

Située dans la région de Chūgoku sur le delta du fleuve Ota, la ville était divisée en sept îles.

Des camps de l'armée s'étaient installés dans les environs. Parmi les plus importants, on y trouvait ceux de la 5e Division et le centre de commandement du général Hata. Celui-ci gérait l'ensemble de la défense de la partie méridionale de l'archipel. Le quartier général de la seconde armée était situé dans un secteur montagneux de la ville à 10 kilomètres du centre, dans le château de Hiroshima.

Hiroshima était un centre d'approvisionnement important et une base logistique pour les militaires nippons. La ville était un centre de communications, un lieu de stockage et de rassemblement pour les troupes. La population de Hiroshima fut mobilisée, comme d'autres cités japonaises, contre l'envahisseur américain : les femmes et les enfants apprenaient à se battre avec des bâtons et à supporter l'effort de guerre que ce soit dans les bureaux ou les usines.

Juste en face du port de la ville, sur l'île d'Okinoshima, était établie une usine de fabrication de gaz toxique affiliée au réseau d'unités de recherche de Shiro Ishii. Avec l'expansion de l'empire, au cours de l'ère Showa, différents types d'armes chimiques y furent produites comme le gaz moutarde, l'ypérite, le Lewisite et le cyanure. Ces gaz étaient notamment utilisés contre les soldats et les civils chinois ainsi que dans les expérimentations sur des humains par les unités de Shiro Ishii.

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Août 1945, les ruines de la cathédrale Murakami sont visible à gauche

La cité fut choisie comme cible, car elle n'avait pas encore subi de raids aériens : elle constituait une zone idéale pour évaluer l'impact de la bombe atomique. Le centre de la ville possédait plusieurs bâtiments en béton armé, de même que des constructions moins solides. En périphérie, les habitations en bois côtoyaient les petits commerces, formant une dense collection de structures légères. Quelques usines s'étaient implantées dans la banlieue. Le risque d'incendie était élevé à Hiroshima : la concentration des bâtiments et les matériaux utilisés étaient propices à une destruction maximale grâce aux effets thermiques de la bombe.

Les informations concernant le nombre de personnes présentes dans la ville lors du bombardement sont très variables, allant de 255 000 à 348 000 habitants. Les estimations données par les troupes et les travailleurs sont probablement imprécises. Le rapport américain indiquant 255 000 habitants s'était appuyé sur les statistiques de rationnement de riz de juin 1945.

Deux heures après la réussite de l'essai Trinity, les bombes Fat Man et Little Boy prirent le départ depuis San Francisco en direction de Tinian à bord du croiseur Indianapolis. Les Américains avaient prévu deux attaques supplémentaires si la première ne se révélait pas suffisante. Le 26 juillet 1945, elles arrivèrent sur la base américaine. Le 28 juillet et le jour suivant, quatre avions Green Hornet s'envolèrent depuis l'Australie pour apporter les derniers composants nécessaires aux bombes : le cœur en plutonium pour Fat Man et les cylindres en uranium pour Little Boy.

Le capitaine de l'US Navy William Parsons était chargé de la maintenance et l'organisation de l'assemblage des bombes sur place. Il mit en place les différents ateliers nécessaires à cette opération, car on ne savait pas encore combien de bombes seraient employées pour venir à bout du Japon. Pendant ce temps aux États-Unis, la production de matière fissile continuait pour une troisième bombe.

Le seul vecteur possible pour la bombe était le Boeing B-29 Superforteresse, unique bombardier lourd capable d'atteindre le Japon à l'époque dont une vingtaine d'exemplaires modifiés pour emporter cette nouvelle arme furent construits durant l'été 1945 à l'usine Glenn L. Martin d'Omaha et une unité spécialement créée pour le bombardement nucléaire fut mise sur pied, le 509th Composite Group.

Little Boy fut installée dans un B-29, mais ne fut pas armée. On craignait en effet que l'avion ne s'écrase et que la bombe ne se déclenche accidentellement, pulvérisant immédiatement l'île. Les accidents avec ces bombardiers étaient courants et les militaires ne voulaient pas prendre de risques. Il fut décidé que l'armement se ferait après le décollage, une des phases les plus délicates de la mission. L'équipe s'entraîna sans relâche pour peaufiner la mission et plus particulièrement Parsons qui était chargé d'armer la bombe en vol avec toutes les responsabilités que cela impliquait.

Le commandant de bord Paul Tibbets décida ensuite de baptiser le B-29 avec un nom unique, celui de sa mère (Enola Gay), pour placer l'avion et son équipage sous une bonne étoile comme il le dira lors d'une interview. Peu avant le décollage, des journalistes s'étaient amassés autour du bombardier pour immortaliser l'événement.

Le bombardement

Little Boy fut installée dans un B-29, mais ne fut pas armée. On craignait en effet que l'avion ne s'écrase et que la bombe ne se déclenche accidentellement, pulvérisant immédiatement l'île. Les accidents avec ces bombardiers étaient courants et les militaires ne voulaient pas prendre de risques. Il fut décidé que l'armement se ferait après le décollage, une des phases les plus délicates de la mission. L'équipe s'entraîna sans relâche pour peaufiner la mission et plus particulièrement Parsons qui était chargé d'armer la bombe en vol avec toutes les responsabilités que cela impliquait.

Le commandant de bord Paul Tibbets décida ensuite de baptiser le B-29 avec un nom unique, celui de sa mère (Enola Gay), pour placer l'avion et son équipage sous une bonne étoile comme il le dira lors d'une interview. Peu avant le décollage, des journalistes s'étaient amassés autour du bombardier pour immortaliser l'événement.

Hiroshima était la cible prioritaire pour le bombardement. Le 6 août 1945, le temps était clair au-dessus de la ville. Plusieurs B-29 (dont Jabbit III pour Kokura et Full House pour Nagasaki) avaient été envoyés sur les autres cibles si la mission sur Hiroshima venait à être détournée, mais les autres villes étaient toutes couvertes par des nuages. Le B-29 piloté par Paul Tibbets était parti à 2h45 de l'île de Tinian. L'avion transportait avec lui la bombe Little Boy. Celle-ci fut armée en vol par le capitaine de marine William Parsons après le décollage.

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Vue aérienne de Nagasaki avant l’explosion

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Après l’explosion

Environ une heure avant le bombardement, les Japonais avaient détecté l'approche d'un avion américain sur le sud de l'archipel. L'alerte fut déclenchée avec des annonces à l'attention de la population et un arrêt des programmes de la radio dans plusieurs villes. L'avion survola Hiroshima et disparut. Cet avion était en fait le B-29 de reconnaissance, Straight Flush, qui signala les bonnes conditions de visibilité pour le bombardement. Les radars japonais détectèrent ensuite un nouveau groupe d'avions à haute altitude mais leur nombre peu élevé, seulement trois, fit que l'alerte fut levée après une dizaine de minutes. Les recommandations pour la population étaient de gagner les abris si un B-29 était visible, mais aucun raid n'était attendu mis à part de la reconnaissance.

Il s'agissait en fait des trois B-29 du raid sur Hiroshima qui évoluaient à plus de 9 500 mètres d'altitude :

Enola Gay (bombardement)

The Great Artiste (mesures et relevé de données)

Necessary Evil (photographies, films).

Le second lieutenant, Morris R. Jeppson, fut le dernier à toucher la bombe lorsqu'il plaça les fusibles d'armement. Peu avant 8h15, Enola Ga y arriva au-dessus de la ville. L'ordre de bombarder fut donné par Tibbets, le major Thomas Ferebee s'exécuta en visant le pont Aioi en forme de T, celui-ci constituant un point de repère idéal au centre de la ville. Peu après 8h15, la bombe Little Boy sortit de la soute à une altitude de 9 450 m. À 8h16m2s, après environ 43 secondes de chute libre, activée par les capteurs d'altitude et ses radars, elle explosa à 580 mètres à la verticale de l'hôpital Shima, en plein cœur de l'agglomération, à 170 m au sud-est du pont visé, libérant une énergie équivalente à environ 15 000 tonnes de TNT.

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Le champignon atomique

Une énorme bulle de gaz incandescent de plus de 400 mètres de diamètre se forma en quelques fractions de secondes, émettant un puissant rayonnement thermique. En dessous, près de l'hypocentre, la température des surfaces exposées à ce rayonnement s'est élevée un bref instant, très superficiellement, à peut-être 4000°C. Des incendies se déclenchèrent, même à plusieurs kilomètres. Les personnes exposées à ce flash furent brûlées. Celles protégées à l'intérieur ou par l’ombre des bâtiments furent ensevelies ou blessées par les projections de débris quand quelques secondes plus tard l'onde de choc arriva sur elles. Des vents de 300 à 800 km/h dévastèrent les rues et les habitations. Le long calvaire des survivants ne faisait que commencer alors que le champignon atomique, aspirant la poussière et les débris, débutait son ascension de plusieurs kilomètres.

Un énorme foyer généralisé se déclencha rapidement avec des pics de température en certains endroits. Si certaines zones furent épargnées lors de l'explosion, elles devaient par la suite affronter un déluge de feu causé par les mouvements intenses des masses d'air. Cette « tempête de feu » fut similaire à celles observées lors des bombardements incendiaires sur les villes allemandes.

Enola Gay avait entre-temps effectué un virage serré à 155° vers le nord-ouest et rebroussait chemin. Les membres de l'équipage, protégés par des lunettes, purent assister à l'explosion. Bob Lewis, le copilote d'Enola Gay, s'écrie : Mon Dieu, qu'avons-nous fait ? Même si je vis cent ans, je garderai à jamais ces quelques minutes à l'esprit.

Le bombardier rentra à Tinian où l'équipage fut décoré pour sa mission et où une grande fête les attendait. Les deux autres B-29 chargés de récupérer des données restèrent suffisamment longtemps autour du site de l'explosion pour photographier le champignon atomique et les dégâts, filmer les alentours et recueillir des informations sur la mission.

Découverte de la destruction par les Japonais

L'opérateur chargé des liaisons radio à Tōkyō, un employé de la Nippon Hōsō Kyōkai, remarqua que la station de Hiroshima ne répondait plus. Il tenta de rétablir la communication via une autre ligne téléphonique, celle-ci s'était également tue. Environ vingt minutes plus tard, le centre ferroviaire qui gérait les télégraphes à Tōkyō réalisa que la ligne principale avait cessé de fonctionner jusqu'au nord de Hiroshima. Tous ces problèmes furent l'objet d'un rapport auprès du poste de commandement japonais.

Le commandement principal tenta à plusieurs reprises d'appeler le centre de commandement de l'armée à Hiroshima. Le silence qui s'ensuivit laissa dubitatifs les responsables de Tōkyō. Ils savaient qu'aucun raid ennemi avec un grand nombre d'avions n'avait eu lieu, les radars n'avaient signalé que quelques avions ici et là. De plus, aucun stock important d'explosifs ne se trouvait à Hiroshima à ce moment-là. Un jeune officier du quartier général japonais fut alors envoyé d'urgence à Hiroshima par avion pour constater les dégâts et retourner à Tōkyō avec des informations sur des destructions potentielles. On pensait qu'il s'agissait juste de quelques lignes coupées par un bombardement isolé.

L'officier se rendit à l'aéroport et prit son envol en direction du sud-ouest. Après trois heures de vol, son pilote et lui distinguèrent un immense nuage de fumée au-dessus de Hiroshima. L'appareil se trouvait pourtant à 160 kilomètres et ne tarda pas à survoler la zone. Ils ne cessèrent de tourner autour de la ville dévastée, les deux membres à bord ne pouvaient croire ce qu'ils voyaient : des incendies à des kilomètres à la ronde, un épais nuage entourant la ville et plus que des ruines. L'avion atterrit au sud de la ville et l'officier prit des mesures après en avoir informé Tōkyō.

La capitale ne sera informée de la cause exacte du désastre que seize heures plus tard. C'est à ce moment que la Maison blanche fit l'annonce publique à Washington.

Pendant ce temps à Hiroshima, les secours tardaient à venir et nombreux furent ceux qui périrent durant les premières heures. Une intense soif gagna les habitants, les victimes cherchaient désespérément de l'eau, mais les soldats avaient reçu l'ordre de ne pas donner à boire aux grands brûlés.

Retombées radioactives

Quelques heures après l'explosion, le nuage atomique ayant atteint des zones plus froides et s'étant chargé d'humidité, la pluie se mit à tomber sur Hiroshima. Elle contenait des poussières radioactives et les cendres qui lui donnaient une teinte proche du noir, et a été de ce fait désignée par le terme de black rain dans la littérature anglo-saxonne.

 

Les retombées de produits de fission entraînés par la pluie ont été relativement limitées, comparées à celles consécutives à une explosion au sol Elles ont porté sur une zone de 30 x 15 km2 au nord-ouest du point d'explosion ; et on estime qu'elles ont entraîné une exposition externe cumulée de 1.8 à 44 rad, c'est à dire de 18 à 440 m Gy (au plus de l'ordre de 0,5 Sievert). Ces niveaux d'exposition sont insuffisants pour entraîner les effets déterministes du syndrome d'irradiation aiguë, mais pour les personnes les plus fortement exposées (plus de 0,1 Sv), peuvent conduire à long terme à des effets stochastiques faible mais statistiquement détectables. Par exemple 0,5 Sv (maximum) pourraient correspondre en théorie à un risque de survenue de cancer de 2,5%.

Le nombre des victimes ne sera sans doute jamais connu car les circonstances (ville en partie évacuée, présence de réfugiés venant d'autres villes, destruction des archives d'état civil, disparition simultanée de tous les membres d’une même famille, crémations de masse) rendent toute comptabilité exacte impossible, en particulier des morts survenues dans les premières heures.

D’après une estimation de 1946 : La population au moment de l’attaque aurait été de 245 000 habitants, de 70 000 à 80 000 auraient été tués et autant blessés.

D’après une estimation de 1956 : sur une population de 256 300 personnes, 68 000 furent tuées et 76 000 blessées.

D’après une autre plus récente : Sur une population de 310 000, de 90 000 à 140 000 personnes furent tuées.

D'après le maire d’Hiroshima lors d'un discours politique en 2005, le total des morts s’élèverait à 237 062 personnes, mais ce nombre est à prendre avec précautions.

Blessures liées au flash lumineux et aux incendies

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Les brûlures sur le corps de cette femme suivent le motif de son kimono. Les parties foncées du tissue ont absorbé le rayonnement thermique, se sont échauffées et ont brûlé la peau en contact. Alors que les parties claires ont réfléchi le rayonnement et protégé la peau

Ces types de blessures retrouvées chez 65% des survivants blessés de Hiroshima et Nagasaki, furent responsables peut-être de 50% des décès, causés par plusieurs mécanismes :

Brûlures de la peau découverte par le rayonnement thermique émis pendant une fraction de seconde au moment de l'explosion. Le moindre obstacle opaque a pu apporter une certaine protection : le port de vêtements, en particulier clairs, l’ombre des bâtiments, le feuillage des arbres... C'est peut-être la blessure la plus caractéristique d'une explosion nucléaire.

Des brûlures du premier degré (érythème évoquant un coup de soleil) furent observées à plus de 4 km (occasionnellement 5 km) de l'hypocentre.

Des brûlures du troisième degré (mortelles si étendues) sur la peau nue jusqu'à 1,5 km (occasionnellement 2,5 km).

Les personnes proches de l'hypocentre dont les parties du corps furent exposées au flash ont été instantanément carbonisées jusqu’à l'hypoderme. Elles agonisèrent de quelques minutes à quelques heures (le rayonnement thermique était de l'ordre de 100 c/cm² libéré en l'espace de 0,3 seconde, ce qui est quinze fois plus important que ce qui provoquerait normalement une brûlure au troisième degré).

On estime que le rayonnement thermique a été responsable directement d’environ 20 à 30% des morts à Hiroshima et Nagasaki.

Brûlures par les flammes : De nombreux incendies éclatèrent dans la ville après l'explosion : en vingt minutes, les feux se réunirent en un seul foyer généralisé, provoquant l'apparition d'une colonne d'air chaud et de vents violents. Cette tempête de feu dura 16 heures et dévasta 11 km2, ce qui ne laissa que peu de chances aux victimes, souvent déjà blessées, qui y étaient piégées. Contrairement aux raids incendiaires conventionnels, l'attaque d'Hiroshima limita considérablement les possibilités de fuite de la population en détruisant une large zone. Ce n'est que lorsque l'ensemble du combustible fut épuisé que le feu s'arrêta. Le nombre des décès liés aux incendies est sans doute très important mais impossible à estimer, car beaucoup de corps ont été détruits par les flammes.

Un effet secondaire, mais tout aussi mortel, fut l'apparition d'une grande quantité de monoxyde de carbone. Ce gaz entraîna l'asphyxie au milieu du foyer et il y eut certainement peu de rescapés. Cependant, aucun témoignage ne confirme l'assertion d'un dégagement massif de CO.

Enfin, ceux qui avaient les yeux pointés vers la boule de feu eurent la rétine brûlée ou endommagée, provoquant des cécités (le plus souvent réversibles). Cette soudaine incapacité à se déplacer empêcha un grand nombre de personnes de trouver un abri et d'échapper à la mort alors que les incendies se développaient.

Blessures liées à l’onde de choc et à l’effet de souffle

Ces types de blessures furent retrouvés chez 70% des survivants blessés de Hiroshima et Nagasaki, mais elles étaient rarement graves. L’hypothèse la plus probable est qu’immobilisés les blessés graves ont été condamnés quand les incendies se sont développés dans les décombres.

Barotraumatisme (effet direct) : lésions internes par rupture des tympans, des sinus, des poumons ou du tube digestif dues à la variation brutale de la pression au passage de l'onde. De telles lésions ont été peu observées (on n’a retrouvé de lésion des tympans, l’organe le plus fragile, que chez moins de 10% des survivants proche de l’hypocentre).

Effet indirect, et sans doute bien plus meurtrier :

Le passage de l'onde de choc provoqua l'effondrement des bâtiments (jusqu'à 2 km dans le cas des habitations en bois). On estime qu’un grand nombre de victimes succombèrent ensevelies sous les décombres, d'autant que des incendies s'y développèrent rapidement.

En se brisant, le bois, le verre et les autres matériaux de construction se transformèrent en des projectiles mortels. Des blessés présentaient des lacérations jusqu'à 2 km de l'hypocentre.

Le souffle déplaça brutalement les victimes et les blessa par chute ou écrasement. Il y a plusieurs causes d’irradiation :

La principale cause a été l'irradiation instantanée au moment de l'explosion (irradiation externe par neutrons et rayons γ émis par les réactions nucléaires dans la bombe). Elle a représenté une dose létale pour 50% des personnes exposées à l’extérieur (soit 4 Gy) à un peu plus de 1 km de distance de l’hypocentre. Les bâtiments, en particulier ceux en béton, ont apporté une certaine protection.

Beaucoup moins importante (car la bombe a explosé loin du sol) est l'irradiation par la radioactivité induite (activation neutronique) : Au moment de l'explosion, le bombardement par les neutrons a rendu les matériaux près de l'hypocentre radioactifs par formation de radionucléides. Cette radioactivité a diminué rapidement et est restée confinée à une zone où le rayonnement thermique avait normalement déjà presque tout tué. On estime qu'elle représentait le premier jour, au maximum, une dose cumulée de 0,6 Gy. Du deuxième au cinquième jour, elle représentait moins de 0,1 Gy. En quelques jours elle est devenue insignifiante.

Encore moins importante, l'irradiation suite aux retombées radioactives : c'est-à-dire irradiation par les radionucléides produits lors de l'explosion et retombant du nuage atomique sous forme de poussières ou de pluie noire. À Hiroshima, l’explosion ayant été aérienne, il y eut assez peu de retombées car le nuage s'éleva rapidement à très haute altitude où les radionucléides se dispersèrent (dose cumulée totale maximum au sol de 0,4 Gy).

Les signes d’irradiation ont été retrouvés chez 30% des survivants blessés de Hiroshima et Nagasaki, responsable peut-être de 5 à 15% des décès, souvent par syndrome d'irradiation aiguë. Le nombre exact des décès liés au syndrome d'irradiation aiguë est difficile à déterminer car la plupart de ces victimes présentaient également des brûlures thermiques étendues, rapidement fatales avec une symptomatologie générale assez semblable. Aucun effet des radiations n'a été mis en évidence au delà de 2,4 km de l’hypocentre.

La principale manifestation a donc été le syndrome d'irradiation aiguë: De quelques jours à quelques semaines après l’attaque, les victimes irradiées ont présenté une phase de prodromes avec asthénie, céphalées, nausées et vomissements. Après une phase de latence de quelques jours à quelques semaines au cours de laquelle l'état de santé des victimes semblait s’améliorer survenait une aggravation avec asthénie, céphalées, nausées, vomissements, diarrhées, immunodépression, perte des cheveux, hémorragies et éventuellement décès. Au bout de 4 mois et en l'absence de décès, l’évolution s'orientait vers la guérison.

Exposition in utero des fœtus, conséquence de l'irradiation de femmes enceintes. Il a été observé des morts in utero (avortement), des retards de croissance, des retards mentaux ou des malformations (non héréditaires).

Effets médicaux à long terme de l’irradiation

Les leucémies : À partir de 1947, une augmentation de l’incidence des leucémies a été observée parmi les survivants irradiés. Un maximum fut atteint en 1951, ensuite cette incidence a décliné pour disparaitre en 1985. Sur 50 000 survivants irradiés suivis de 1950 à 1990, il a été observé 89 cas de leucémies mortelles attribuables aux radiations (soit moins de 0,2% des survivants irradiés suivis).

Les cancers solides : Le suivi des survivants irradiés a montré, à partir de la fin des années 1950, une augmentation progressive de l’incidence des cancers, en particulier ceux du poumon, du tube digestif et du sein. Sur 50 000 survivants irradiés suivis de 1950 à 1990, il a été observé 339 cas de cancers mortels attribuables aux radiations (soit environ 0,6%).

Effets médicaux autres que les cancers chez les survivants irradiés : survenue de cataractes, de stérilité (souvent réversible chez l'homme), d’une augmentation de la fréquence des maladies (non cancéreuses) pulmonaires, cardiaques ou digestives avec une possible diminution de la durée de vie. Le nombre de ces décès semble égal au nombre ou à la moitié du nombre de ceux dus aux cancers et leucémies (soit environ de 0,5% à 1%).

Le nombre des morts dus aux effets à long terme des bombardements nucléaires est, d'après ces chiffres, dérisoires par rapport à celui des victimes des premiers mois. En mars 2007 au Japon, près de 252 000 personnes encore vivantes sont considérées « hibakusha » (survivants de la bombe). Mais, de ce nombre, moins de 1% (2242 exactement) sont reconnues comme souffrant d'une maladie causée par les radiations.

Effets sur la descendance de la population irradiée.

Les résultats du suivi des descendants des victimes d'Hiroshima et Nagasaki (30 000 enfants de parents irradiés, ce qui représente une population statistiquement significative) n'a pas permis d'observer une augmentation des malformations ou des troubles génétiques.

Résistance des constructions

Les bâtiments en béton armé au centre de Hiroshima étaient conçus selon des normes antisismiques. Leur structure résista en général aux incroyables contraintes provoquées par la proximité de l'explosion. Du fait de l'explosion aérienne, le souffle avait une direction plus ou moins perpendiculaire par rapport au sol, ce qui limita peut-être les dégâts. La résistance et la protection qu'offrirent ces structures sont mises en évidence par les chiffres suivants : les chances d'être encore vivantes 20 jours plus tard étaient de 50% pour les personnes qui se trouvaient au moment de l'explosion à:

200 m de l'hypocentre dans un bâtiment en béton (mais chance de survie finale: 12%). 675 m dans un bâtiment (non précisé, bâtiments scolaires). 2 km à l'extérieur d'un bâtiment.

Le Dôme, centre de promotion de l'industrie de Hiroshima dessiné par l'architecte tchèque Jan Letzel, était très proche de l'hypocentre. Ce bâtiment résista au souffle et fut renommé Mémorial de la paix de Hiroshima. Il fait partie des monuments de l'Unesco depuis 1996 malgré les protestations des États-Unis et de la Chine.

Les résidences traditionnellement en bois furent complètement rasées par le souffle jusqu'à une distance de 2 km de l'hypocentre. Au-delà et jusqu'à 3 km les dommages étaient importants mais réparables, à la condition qu'elles aient survécue aux incendies qui suivirent.

La réaction du gouvernement japonais

Le bombardement de Hiroshima ne modifia en rien l'attitude de Hirohito et du gouvernement qui continuèrent d'ignorer l'ultimatum de Potsdam et ne prirent aucune mesure pour amorcer le processus de reddition, espérant toujours une issue favorable aux négociations avec l'Union soviétique. Le 7 août, Shigenori Tōgō s'enquit encore auprès de l'ambassadeur Satō sur les intentions du gouvernement soviétique.

Interrogé sur la question de la responsabilité par rapport à la guerre et au bombardement de Hiroshima par un journaliste de Tōkyō le 31 octobre 1975, l'empereur se fit évasif et tenta de justifier son attitude : Nous n'avons pas étudié beaucoup cette question littéraire et en conséquence, nous ne la comprenons pas bien et ne pouvons répondre. Pour Hiroshima, c'est très regrettable que les bombes nucléaires aient été larguées et nous sommes désolés pour les citoyens de cette ville. Cela ne pouvait toutefois être empêché (shikata ga nai) car c'est arrivé en temps de guerre.

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Le 10 août 1945

Le second ultimatum

Peu après la destruction de Hiroshima et avant de lancer une autre bombe (Fat Man) sur Nagasaki, le président Truman lança un nouvel avertissement aux autorités japonaises (traduction du texte original) :

C'était pour épargner des vies japonaises d'une destruction totale que l'ultimatum du 26 juillet fut formulé à la Conférence de Potsdam. Leurs dirigeants ont immédiatement rejeté cet ultimatum. S'ils n'acceptent pas maintenant nos conditions, ils doivent s'attendre à un déluge de ruines venu des airs comme il n'en a jamais été vu de semblable sur cette Terre. Après cette attaque aérienne suivront des forces marines et terrestres en nombre et en puissance telles qu'ils n'en ont jamais vu et avec les aptitudes au combat dont ils sont déjà bien conscients.

Le 8 août, des bombardiers américains inondèrent plusieurs villes nipponnes de pamphlets appelant la population à renverser le gouvernement pour éviter une nouvelle catastrophe. Cette fois, le gouvernement japonais passa sous silence l'ultimatum et ne formula aucune réponse officielle, se concentrant sur une façon d'obtenir de l'Union soviétique la garantie que la Kokutai et les prérogatives de l'empereur seraient protégées.

Pris de court par le bombardement de Hiroshima, Staline mit un terme aux négociations avec le Japon et décida d'entrer en guerre contre celui-ci dès le lendemain.

Il existe une controverse sur la réaction du gouvernement japonais. Selon une autre version, les autorités japonaises entamèrent secrètement des pourparlers avec le gouvernement américain en vue d'une reddition, pourparlers qui reçurent une fin de non-recevoir par les Américains: le président Truman avait prévu que de toute façon, l'emploi d'une deuxième bombe était nécessaire, afin d'impressionner Staline,dans le cadre de la guerre froide qui s'annonçait et pour prouver que les Etats-Unis pouvaient produire autant de bombes atomiques qu'ils le désiraient. Cette version s'appuie entre autres sur le calendrier des événements: suite à l'entrée en guerre de l'Union soviétique le 9 août, (minuit deux à l'heure du Japon), la défaite de l'empire du Japon devenait certaine et sa reddition inéluctable. Pour couper l'herbe sous le pied des Soviétiques et négocier seules avec les Japonais, les autorités américaines décidèrent précipitamment le largage d'une deuxième bombe le 9 août, en dépit de conditions météorologiques défavorables.

Nagasaki durant la Seconde Guerre mondiale

La ville de Nagasaki était l'un des plus grands ports du sud du Japon et représentait un pion essentiel du complexe militaro-industriel japonais. Diverses industries y étaient implantées : fabriques d'équipements militaires, entreprises chargées de la munition et des bombes, usines pour la construction de navires et d'avions, etc.

Cet important effort de guerre nécessitait des moyens modernes qui contrastaient avec le reste de Nagasaki : les résidences étaient traditionnelles, avec des structures en bois. Les murs étaient en bois avec parfois du plâtre et les toits étaient couverts de tuiles. Les usines de tailles limitées et les bâtiments commerciaux étaient également construits en bois. Les structures ne pouvaient ainsi résister à de fortes explosions.

Nagasaki s'élargit pendant plusieurs années sans vraiment suivre un plan précis. Les habitations furent placées près des usines dans la vallée et la densité des constructions était élevée. Avant l'attaque atomique, Nagasaki n'avait jamais fait l'objet de bombardements à grande échelle. Le 1er août 1945, quelques bombes de forte puissance furent toutefois larguées sur la ville. Quelques-unes de ces bombes frappèrent le port et les constructions navales dans la partie sud-ouest de la ville. D'autres bombes visèrent les usines Mitsubishi et trois bombes sur six touchèrent l'hôpital de Nagasaki. Malgré des dégâts limités, l'impact sur la population fut important : une partie des enfants fut évacuée vers des zones rurales, accompagnée d'autres personnes.

Le bombardement

Le matin du 9 août 1945 à 3h49, le B-29 Bockscar partit de Tinian en direction du Japon. À son bord, la bombe Fat Man qui devait être larguée sur Kokura. Deux autres B-29 décollèrent peu après : Bockscar a rejoint le Nouveau-Mexique à la fin de la guerre. Des erreurs s'étaient glissées dans certains documents relatant les faits de Nagasaki. Il était question d'un autre bombardier, The Great Artiste. Quand l'erreur fut signalée, un comité se chargea de conserver Bockscar qui fut retiré du service en septembre 1946 et déplacé vers Tucson, Arizona. Il ne fit plus aucun vol jusqu'en septembre 1961 où il fut remis au National Museum of the United States Air Force. Piloté par Frederick Bock et The Big Stink piloté par le lieutenant-colonel Hopkins.

Après 10 minutes de vol, le commandant Ashworth activa la bombe en chargeant les fusibles et ordonna de ne pas descendre en dessous de 1500 mètres pour éviter une détonation accidentelle. Les trois avions devaient se donner rendez-vous au-dessus de l'île de Yakushima mais Bockscar ne rencontra que The Great Artiste. Pendant plus de 40 minutes, les deux bombardiers patientèrent en tournant autour de l'île. Pendant ce temps, les informations météorologiques données par les avions de reconnaissance arrivèrent : des nuages couvraient partiellement Nagasaki et Kokura mais le bombardement était normalement possible.

L'autre avion n'apparaissant pas, ils se dirigèrent vers Kokura. Arrivé au-dessus de la ville vers 10h20, l'équipage de Bockscar affronta un nouveau problème : la couverture nuageuse à 70% empêchait le bombardement. Après trois survols de Kokura, l'escadre se dirigea vers Nagasaki, la seconde cible, pour procéder à un bombardement visuel des principales usines de la ville. Bockscar dut cependant faire face à un nouvel imprévu avec l'impossibilité de disposer du carburant de réserve.

À 7 h 50, une alerte aérienne fut donnée à Nagasaki mais elle fut rapidement levée aux alentours de 8 h 30. Quand les avions apparurent au-dessus de la ville vers 10 h 56, les Japonais pensèrent qu'il s'agissait d'avions de reconnaissance, alors courants, et aucune alarme ne fut donnée.

Quelques minutes avant l'explosion de la bombe, The Great Artiste largua des instruments attachés à trois parachutes. Des messages à destination du professeur Ryukochi Sagane, un physicien spécialisé dans le nucléaire qui avait travaillé avec trois des membres du projet Manhattan, accompagnaient l'équipement parachuté. Les textes lui demandaient d'avertir le public japonais au sujet des dangers de la bombe atomique, mais ces lettres ne furent trouvées qu'à la fin de la guerre.

À 11 h 02, une percée dans les nuages sur Nagasaki permit au bombardier de Bockscar, le capitaine Kermit Beahan, de viser la zone prévue, une vallée avec des industries. Fat Man fut alors larguée et explosa à 469 mètres d'altitude. La détonation eut lieu entre les deux cibles potentielles : l'usine d'aciérie et d'armement de Mitsubishi au nord et l'usine de torpilles Mitsubishi-Urakami au sud.

 

Trois ondes de choc atteignirent les deux avions. The Great Artiste continua sa mission scientifique autour de Nagasaki pendant que Bockscar se dirigeait vers le sud. Le retour vers Tinian ne se fit pas sans encombre. Sans carburant de réserve, Bockscar risquait de devoir se poser en mer. Sweeney décida d'atterrir à Okinawa. C'est quasiment en planant que le bombardier arriva sur la piste, un moteur s'était déjà arrêté en vol. Une vingtaine de minutes plus tard, The Great Artiste atterrissait à son tour accompagné de The Big Stink qui s'était dirigé en solo vers Nagasaki pour prendre des photos.

Les trois avions firent le plein de carburant et retournèrent à Tinian où ils arrivèrent le 9 août à 23 h 30. On sait maintenant que les dizaines de minutes supplémentaires passées à attendre The Big Stink permirent à Kokura d'éviter le bombardement suite à une dégradation soudaine des conditions météorologiques.

De même que pour Hiroshima des incertitudes concernant le nombre des victimes existent à Nagasaki. Selon les mêmes sources que nous avions citées à propos de Hiroshima:

D’après l’estimation de 1946 : 35 000 personnes auraient été tuées et un peu plus blessées.

D’après celle de 1956 : sur une population de 173 800 âmes, 38 000 furent tuées et 21 000 blessées.

D’après la plus récente : Sur une population de 250 000, 60 à 80 000 personnes furent tuées.

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Fillette de 11 ans qui avait perdu ses cheveux plus d’une semaine après l’explosion. Elle se trouvait dans une maison en bois à 2 km de l’hypocentre

Pertes américaines

Le 18 juin 1945, lors d'une réunion avec le Président Truman, le Général Marshall, estima que les pertes (tués, blessés, disparus) des 30 premiers jours de l'invasion de Kyūshū pourraient s'élever à 31 000. Mais l'amiral Leahy fit remarquer qu’elles pourraient aussi être proportionnelles à celle de la bataille d'Okinawa, rendant le bilan bien plus coûteux. En effet, à Okinawa, 180 000 américains affrontèrent pendant 3 mois 120 000 japonais : les pertes américaines s'élevèrent à 48 000 (presque le tiers de l'effectif engagé). Avec l'opération Olympic, 767 000 soldats américains auraient dû affronter peut être 600 000 soldats japonais. Et l'opération Coronet aurait été encore plus meurtrière : 1,4 millions d'américains auraient affronté de 2 à 3 millions de japonais jusqu'à peut être la fin 1946. Après la guerre, le président Truman parla de projection de pertes pour l'armée américaine de 0,5 à 1 million. Si l'origine de ces chiffres est inconnue, l'ordre de grandeur ne paraît pas invraisemblable comparé au bilan d'Okinawa.

Pertes japonaises

Dans une autre perspective, il ne faut pas perdre de vue le coût humain d'une telle opération terrestre pour les Japonais. À Okinawa, les soldats de l'armée impériale s'étaient fait tuer presque jusqu'au dernier, et de nombreux civils étaient amenés à se suicider, généralement sous pression de l'armée qui organisait elle-même ces suicides collectifs. Et à cela se serait ajouté le bilan d’une ou deux années supplémentaires de famine et de privation pour les populations.

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Conférence impériale du 14 août au cours de laquelle l’empereur à (gauche) informa les membres du conseil suprême de son intention d’annoncer la reddition de l’empire du Japon pour le motif que l’ultimatum de Postdam et la réponse du secrétaire d’état américain offeraient des garanties suffisantes à la préservationm du Trône et du régime impérial.

Les prisonniers de guerre

Outre les arguments invoqués précédemment, les Américains pensaient que la bombe atomique serait une solution pour forcer le Japon à libérer les centaines de milliers de prisonniers de guerre et civils enfermés dans les camps de concentration japonais disséminés un peu partout en Asie.

La bombe serait également à même d'arrêter les atrocités japonaises en Chine et dans l'ensemble de la Sphère de coprospérité de la grande Asie orientale, ainsi que le travail forcé pour les ressortissants de divers pays asiatiques. Le sort des prisonniers de guerre devint particulièrement préoccupant lorsque le ministre de la guerre ordonna le 1er août 1944 d'exécuter les prisonniers alliés si le Japon venait à être envahi. Il est également probable que le Japon eut mené de telles actions punitives en cas de famine prolongée.

En réponse à l'argument des pertes civiles et des crimes de guerre provoqués par l'utilisation de l'arme atomique, les partisans des bombardements mirent en avant le non-respect total de la convention de Genève par le Japon, que ce soit sur le plan militaire ou civil :

travail forcé des civils (y compris les femmes et les enfants), dont 10 millions de civils chinois enrôlés dans le seul Mandchoukouo; utilisation d'armes biologiques et d'armes chimiques contre la Chine, fabriquées par les unités de recherche de Shiro Ishii (dont notamment la peste à Changde, de l'aveu même d'accusés nippons au procès de Khabarovsk) expérimentation des armes bactériologiques et chimiques par ces mêmes unités sur des milliers de cobayes humains.

Crimes contre les prisonniers de guerre et les populations civiles.

L'attaque surprise à Pearl Harbor restait profondément gravée dans les esprits et le Japon était considéré comme un ennemi fourbe qu'il ne fallait plus ménager. Le père John A. Siemes, professeur de philosophie à l'université catholique de Tōkyō et témoin de l'explosion à Hiroshima écrivit :

Nous avons discuté tous ensemble au sujet de l'éthique derrière l'utilisation de la bombe. Certains la classaient comme les gaz toxiques et étaient contre son utilisation sur des populations civiles. D'autres pensaient que dans la guerre totale menée par le Japon, il n'y avait pas de différence entre les soldats et les civils. La bombe en elle-même était une force efficace pour stopper l'effusion de sang, obliger le Japon à capituler et ainsi éviter la destruction totale. Il me semble logique que celui qui promeut la guerre totale ne peut pas, par principe, critiquer la guerre contre les populations civiles.

Sur les treize prisonniers de guerre américains présents à Hiroshima le jour de l'explosion, seuls deux survécurent. Le gouvernement américain pouvait se permettre ces quelques pertes collatérales. Elles auraient été probablement supérieures si la menace d'une attaque atomique eut été proférée à l'encontre du Japon avant de procéder au bombardement. 



06/10/2013
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